Réforme des retraites : impacts pour les femmes en France

40 % des femmes quittent la vie active avec une carrière incomplète en France, contre seulement 20 % des hommes. Même après prise en compte des dispositifs de compensation, comme la majoration de durée d’assurance pour enfants, l’écart de pension entre les sexes dépasse encore 30 %. L’allongement de la durée de cotisation, imposé par la dernière réforme, pénalise surtout celles dont les parcours professionnels ont été interrompus ou morcelés. Les organisations de défense des droits des femmes dénoncent l’insuffisance des mesures correctives existantes. Les discussions publiques portent désormais sur la recherche de solutions concrètes pour mieux intégrer les réalités vécues par les femmes au fil de leur vie professionnelle.

Comprendre la réforme des retraites : enjeux et principales évolutions

L’annonce de la suspension de la réforme des retraites par Sébastien Lecornu jusqu’à la présidentielle de 2027 n’a pas gelé le débat. Les discussions parlementaires se sont poursuivies, et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (PLFSS 2026) concentre toutes les attentes. Ses dispositions doivent s’appliquer à partir du 1er septembre 2026, sauf pour le cumul emploi-retraite, qui bascule au 1er janvier 2027.

Pour saisir les principaux changements, voici les mesures phares du PLFSS 2026 :

  • Modification du calcul des pensions : désormais, les pensions des mères seront calculées sur les 24 meilleures années pour un enfant, 23 années si elles en ont deux ou plus. Ce choix vise à limiter l’impact des parcours professionnels en dents de scie, qui touchent principalement les femmes.
  • Transformation de trimestres : deux trimestres non cotisés sont reconnus comme cotisés pour les carrières longues. Un détail technique, mais qui peut modifier la date de départ à la retraite.
  • Revalorisation des retraites : l’article 44 du PLFSS confirme l’absence de hausse en 2026. Entre 2027 et 2030, la revalorisation sera limitée. Les retraités devront composer avec cette attente prolongée.
  • Gel du barème CSG : l’article 6 maintient le barème 2026 au niveau de 2025. La proposition de lissage, portée par amendement, a été recalée par le Sénat au vu des tensions budgétaires.

Les débats à l’Assemblée nationale et en commission des affaires sociales restent tendus. Les amendements, comme les numéros 2686 ou 2793, soulignent la bataille technique et politique autour d’un financement de la sécurité sociale qui pèsera sur l’avenir de toute une génération.

Pourquoi les femmes sont-elles particulièrement concernées par les changements ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la réforme des retraites pèse d’abord sur les femmes. Franck Riester l’a reconnu, 60 % de l’effort attendu, soit 11 milliards d’euros sur 18 milliards, reposera sur elles. Ce déséquilibre découle d’un système qui valorise la continuité de carrière, alors que le parcours professionnel des femmes reste plus souvent fragmenté.

L’écart se creuse avec l’âge : à génération équivalente, une femme née en 1972 devra patienter neuf mois de plus qu’un homme pour partir à la retraite (cinq mois pour les hommes). Pour décrocher une pension sans décote, une femme sur cinq doit attendre ses 67 ans, contre un homme sur douze. Selon la DREES, les femmes perçoivent entre 37 et 40 % de moins que les hommes à la retraite. Et l’Observatoire de l’émancipation économique des femmes place même l’écart à 62 % pour les pensions de droit direct.

Deux raisons principales expliquent ce déséquilibre, comme le montrent les faits :

  • Le temps partiel subi et les parcours hachés fragilisent les droits à la retraite. Les femmes occupent 80 % des emplois à temps partiel, multipliant les interruptions ou périodes non cotisées.
  • Les congés maternité, parentaux ou l’accompagnement de proches grèvent la durée d’assurance validée, creusant l’écart au moment de liquider ses droits.

La pension moyenne d’une femme du secteur privé plafonne à 1 020 euros, loin derrière les 1 890 euros perçus par les hommes. Les majorations pour enfants ou la pension de réversion n’effacent pas le différentiel. Pire, l’allongement de la durée d’assurance et le durcissement des conditions de départ anticipé aggravent une inégalité déjà profonde.

Carrières hachées, temps partiel, maternité : des inégalités accentuées par la réforme

La réforme des retraites s’attaque à un terrain déjà déséquilibré. Pour de nombreuses femmes, les interruptions de carrière, maternité, temps partiel, accompagnement de proches, font partie du quotidien. Ce ne sont pas des exceptions, mais des réalités qui pèsent sur la durée d’assurance validée et, in fine, sur le montant de la pension.

Quelques données illustrent concrètement l’ampleur du problème :

  • 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, générant des salaires réduits et des droits à la retraite morcelés.
  • L’écart de pension atteint 40 % dans le secteur privé, à l’avantage des hommes.
  • 13 % des femmes de plus de 75 ans vivent sous le seuil de pauvreté, contre 8,9 % des hommes.

Les correctifs actuels ne suffisent pas à compenser ces déséquilibres. La majoration de trimestres pour enfants existe, mais ne permet pas de rattraper la perte cumulée au fil d’une carrière. Seules 3 % des femmes nées dans les années 1970 peuvent partir plus tôt grâce aux trimestres cotisés. Pour beaucoup, atteindre le taux plein demeure hors de portée avant 67 ans. La pension de réversion, censée atténuer la chute, ne compense que partiellement des pensions déjà faibles.

Le travail domestique, non rémunéré, reste absent du calcul des droits. D’après l’INSEE, il représente 42 milliards d’heures chaque année, assurées à 70 % par des femmes. Même les récents ajustements sur le partage des trimestres pour enfants ne corrigent pas le déséquilibre de fond. L’allongement de la durée requise et le durcissement des critères accentuent l’écart. Les parcours hachés, emplois précaires et temps partiels subis se paient au prix fort, une fois l’âge de la retraite venu.

Trois femmes françaises manifestant pour la reforme des retraites

Quelles pistes pour mieux protéger les femmes face aux nouveaux défis de la retraite ?

L’égalité salariale constitue le levier le plus puissant pour rapprocher les montants de pension entre femmes et hommes. L’Observatoire de l’émancipation économique des femmes insiste : le combat se joue dès l’entrée dans la vie active. Revaloriser les métiers féminisés, sécuriser les parcours professionnels, limiter le recours au temps partiel non désiré, chaque avancée concrète compte.

La conversion de trimestres non cotisés en trimestres cotisés pour les carrières longues, prévue dans le PLFSS 2026, représente un premier pas. Mais l’impact reste limité à quelques cas précis. Il serait judicieux d’étendre cette mesure à d’autres interruptions de carrière, liées à la parentalité ou au soutien d’un proche.

Les organisations syndicales, à commencer par la CFDT Retraités et la CFTC, militent pour une refonte du mode de calcul de la pension. Retenir les meilleures années, plutôt que l’intégralité de la carrière, permettrait d’atténuer les conséquences des temps partiels et des arrêts. Le projet PLFSS 2026 introduit la prise en compte des 24 meilleures années pour les mères d’un enfant, mais ce principe mériterait d’être généralisé.

Pour avancer concrètement, plusieurs leviers sont à considérer :

  • Adapter la fiscalité : ajuster le barème de la CSG pour préserver les petites pensions, majoritairement attribuées à des femmes.
  • Encourager un meilleur partage des tâches familiales : promouvoir le partage des congés parentaux pour limiter l’impact sur la carrière féminine.
  • Faciliter l’accès à l’emploi : renforcer les dispositifs de formation et de retour à l’activité professionnelle.

L’OCDE et la Cour des comptes s’accordent : pour garantir un système de retraite juste et pérenne, la réduction des inégalités doit s’engager dès le début de la vie professionnelle. Tirer les leçons des réformes précédentes, c’est bâtir un filet de sécurité qui ne laisse plus les femmes de côté, du premier emploi jusqu’au dernier versement de pension.

Transformer l’équation des retraites pour les femmes, c’est refuser que la précarité devienne une fatalité à la fin de la carrière. Qui veut d’un système où les efforts d’une vie se soldent par des fins de mois impossibles ? Le chantier reste ouvert, et il ne peut plus attendre.